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États-Unis : la détente du 10 ans, reflet d'un ralentissement ordonné

Par Vincent Barret, le 23/10/2025

Vincent Barret

Depuis le symposium de Jackson Hole en août, le rendement du 10 ans américain a reculé d’environ 33 points de base. Ce mouvement, en apparence modeste, résume à lui seul le changement de climat macroéconomique en cours : une croissance qui s’essouffle, une inflation maîtrisée, et une Fed qui s’apprête à refermer discrètement un chapitre de resserrement monétaire historique.

Un signal avant tout réel, pas inflationniste

Près des trois quarts de la baisse (soit environ 24 pb) proviennent de la composante réelle du taux, celle qui reflète les anticipations de croissance. Les TIPS (obligations indexées sur l’inflation) confirment le diagnostic : les investisseurs réévaluent à la baisse la vigueur du cycle économique, sans pour autant anticiper une flambée des prix.

consommation fed taux

Les breakevens d’inflation ne reculent que de 9 pb. L’inflation implicite reste proche de 2 %, ancrée dans la cible de la Fed. Autrement dit, le marché n’anticipe pas une erreur de politique monétaire : la Fed ne coupe pas “trop tôt”, elle accompagne un ralentissement déjà enclenché.

Même le pétrole donne la même lecture : le baril a perdu 8 % à court terme, mais seulement 2 % sur les maturités longues. L’effet inflationniste reste donc limité, une normalisation, pas une déflation.

Une détente portée par la plomberie monétaire

Derrière la chute des rendements se cache un ajustement technique majeur : la Fed a annoncé la fin anticipée du Quantitative Tightening (QT).

Concrètement, elle continuera de laisser fondre son portefeuille de MBS (titres hypothécaires), mais réinvestira les flux dans des Treasuries, injectant environ 60 à 120 Mds $ de demande nette sur le marché obligataire au cours des prochains trimestres.

Ce n’est pas un retour au QE, mais un changement de régime :

  • Le bilan cesse de se contracter (plus de retrait de liquidité),
  • Les remboursements des MBS sont recyclés dans des achats de Treasuries,
  • La composition du portefeuille se simplifie,
  • Et la Fed redevient acheteur marginal régulier.

En outre, il faut savoir que depuis deux ans, la Fed a réduit son bilan, mais de manière très sélective : la contraction a porté presque exclusivement sur les bons du Trésor à court terme, tandis que les positions sur le long terme, obligations de dix ans et plus, ont été largement conservées.

Ce choix n’est pas anodin : en évitant de vendre massivement des titres longs, la Fed a empêché une revalorisation violente de la courbe des taux, protégeant ainsi le Trésor d’une flambée de ses coûts d’emprunt. Autrement dit, la Fed a stérilisé la volatilité qui aurait dû se traduire par une hausse des taux longs.

Parallèlement, ce même Trésor a inondé le marché d’émissions à court terme pour financer ses déficits à moindre coût, accentuant l’inversion de la courbe. Résultat : la Fed détient le long de la courbe, pendant que le Trésor inonde le court, une inversion structurelle qui camoufle le stress sans le résoudre.

Résultat : le marché du Trésor se rééquilibre, les taux longs trouvent un plafond naturel, et la volatilité (indice MOVE) s’effondre, ce qui abaisse la prime exigée pour détenir des titres à long terme et réduit mécaniquement la prime de terme. 

Un contexte budgétaire moins explosif

Autre facteur clé : le déficit fédéral se stabilise légèrement. Les nouvelles recettes issues des droits de douane améliorent la flexibilité d’émission du Trésor. Selon le CBO, ces mesures pourraient alléger la charge budgétaire de près de 4 000 Mds $ sur dix ans.

Cette moindre pression sur l’offre d’obligations, combinée au soutien implicite de la Fed, contribue à détendre la prime de terme. Le marché obligataire respire : les investisseurs reviennent sur la duration, et la structure d’émission s’adoucit.

Une mécanique de marché auto-renforçante

Le passage du 10 ans sous les 4 % a déclenché une série d’achats techniques :

  • Fonds systématiques,
  • Gestionnaires de convexité MBS,
  • Stratégies de risk-parity.

Ce feedback loop (la baisse attire la baisse) a accentué la correction des rendements. Les flux vers les maturités longues sont également portés par les fonds de pension et assureurs, qui profitent de conditions de couverture redevenues attractives.

L’économie réelle : une demande de crédit qui s’éteint

Derrière le mouvement, le message économique est limpide : la demande de crédit s’affaiblit.

  • Les ménages atteignent leurs limites avec les taux élevés sur les cartes de crédit et les prêts auto.
  • Les entreprises reportent leurs investissements face à un coût du capital plus durablement haut.
  • Les banques resserrent leurs conditions de prêt, par prudence et par contrainte réglementaire.

L’argent devient donc “moins cher” non pas parce que la Fed coupe les taux, mais parce que plus personne ne veut en emprunter.

Des marchés financiers en décalage

Le contraste est saisissant :

  • Les actions continuent de pricer un scénario de “soft landing” et de profits solides,
  • L’or se comporte comme si la dépréciation monétaire allait reprendre,
  • Et les taux longs, eux, racontent une histoire bien plus terne : celle d’un ralentissement ordonné mais profond.

Ce ne sont pas des signaux contradictoires, mais asynchrones : les taux réagissent toujours avant les profits et les matières premières.

Trois scénarios pour la suite

  1. Scénario central – Ralentissement ordonné
    • Croissance molle, inflation stabilisée autour de 2 %.
    • 10 ans ancré entre 3,7 % et 4 %.
    • Surperformance des obligations IG et des maturités 7–10 ans.
  2. Scénario baissier – Désinflation rapide / choc de crédit
    • Rendements vers 3,25–3,50 %, mais au prix d’un ralentissement brutal et d’un resserrement du crédit.
  3. Scénario dur – Réaccélération conjoncturelle / choc de prime de terme
    • Rebond vers 4,4 % et plus, si la croissance résiste, l’inflation rebondit ou si les tensions géopolitiques reprennent.

Conclusion : un marché qui prépare le prochain cycle

La baisse du 10 ans depuis Jackson Hole n’est pas une célébration de la victoire sur l’inflation, mais une reconnaissance d’un ralentissement contrôlé.
Le marché obligataire réagit avant tout au reflux du risque, à la stabilisation budgétaire et au recyclage discret de la liquidité par la Fed.

Les taux longs deviennent le thermomètre inversé de la croissance : ils baissent non pas parce que tout va bien, mais parce que l’économie fatigue sans s’effondrer.

Tant que la volatilité reste faible et que la Fed gère prudemment la transition post-QT, le biais directionnel sur la duration reste haussier.
Mais si le trio crédit – emploi – enchères du Trésor se retourne ensemble, le “rally technique” de l’automne 2025 se transformera vite en rally de cycle.


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