De ce fait, les conséquences d’un tel évènement, non prévu, n’ont été ni étudiées ni anticipées. Que se passera-t-il si la Grèce quitte la zone euro ?
D’abord, elle récréera une monnaie nationale, le drachme, qui dévaluera de 25% à 30% par rapport à l’euro, ce qui rendra sa compétitivité à la Grèce (1). Certes l’endettement de l’Etat grec sera mécaniquement augmenté du fait de la dévaluation (les dettes restant libellées en euros), mais il suffira de les restructurer, en allongeant leur maturité pour faciliter leur remboursement grâce au retour de la croissance dans le pays, dopée par la dévaluation.
Il est également clair que les créditeurs « perdront des plumes » lors de cette restructuration, mais cela reste supportable (moins d’un trimestre de bénéfices pour les grandes banques européennes). Quant au reste de la zone euro, il sera renforcé puisque le maillon faible sera parti.
La seconde conséquence de la crise grecque, moins perceptible, est pourtant plus remarquable. L’Union Européenne va de plus en plus connaître une évolution « à deux vitesses ». Dans un premier groupe, on retrouvera les pays qui ne veulent pas d’une union monétaire rigoureuse telle la Grande Bretagne ou les pays scandinaves (ils resteront en dehors de la zone euro, par choix, pour protéger leur souveraineté) ou ceux qui ne peuvent y entrer, par ce qu’ils ne satisfont les critères rigoureux de « convergence » (essentiellement les pays d’Europe Centrale et Orientale(2)).
Dans le second groupe, on compte surtout les pays de l’Europe du Nord (Allemagne, Bénélux) et du Centre (France, Autriche) plus l’Italie (3), c'est-à-dire l’ancienne « Europe Carolingienne » ou plus ou moins « l’Europe des Six », à l’origine de l’Union Européenne. A cela s’ajoutent des pays à problème, périphériques d’une certaine façon (Espagne, Portugal, Irlande). Doit-on les garder dans une zone euro « renforcée » ? Et si oui, à quel prix ?
Car la crise grecque a montré que la zone euro devait se renforcer, si elle voulait survivre. Cela signifie : accroître son intégration économique, en rapprochant ses politiques budgétaire et fiscale ; « développer les institutions communes : Fonds Monétaire Européen, quel que soit son nom, Ministre des Finances représentant la zone, etc. C'est-à-dire une nouvelle dose de « fédéralisme ».
On comprend donc qu’une « Europe à deux vitesses » est inévitable, ce qui va permettre de poursuivre à la fois l’élargissement (entrée prochaine de la Croatie puis de la Serbie ; négociations avec la Turquie), et l’approfondissement (la zone euro, qui pourrait coïncider assez rapidement avec l’espace de Schengen (politique de l’immigration) reconfiguré. Restera à définir la relation entre ces « deux Europes (4) » et à régler la question des « maillons faibles » (Portugal, Irlande, voire Espagne).
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président d’Honneur Club Finance HEC
(1) Ce chiffre correspond environ à la surévaluation actuelle de l’euro par rapport aux caractéristiques de l’économie grecque : celle-ci produit environ 35 dollars de l’heure en produits et services, contre 55 en Allemagne.
(2) Les exceptions (Slovénie, Estonie) s’expliquent essentiellement par le fait que ce sont des mini-Etats très bien structurés d’un point de vue économique.
(3) L’Italie du Nord est relativement industrialisée, contrairement à l’Italie du Sud, ce qui pose problème (cf. les visées séparatistes de la Ligue du Nord).
(4) Par exemple en matière de change, les pays hors zone euro pourront décider de rattacher leur monnaie nationale à l’euro à travers des mécanismes flexibles, ce que font déjà certains Etats.