En outre, compte tenu de leurs réserves en dollars (environ 1900 milliards, dont 800 milliards d’obligations du Trésor américain), les Chinois n’ont pas intérêt à voir leur monnaie s’apprécier. D’où leur refus de réévaluer le yuan, ce qui implique de garder une forte main-mise étatique sur leur monnaie et donc de limiter la convertibilité du yuan. C’est aussi un frein naturel à la diversification monétaire pour la Banque de Chine : si celle-ci convertit ses dollars en euros, elle contribue de ce fait à la baisse du dollar, donc à la baisse de la valeur de ses réserves de change ! On comprend donc que les Chinois sont « pris dans une souricière » (c’est le débiteur américain qui tient son créancier chinois dans ses filets). La même chose s’applique aux pays pétroliers du Moyen Orient, détenteurs de dollars et freinés dans leur souci de diversification par peur de se « tirer une balle dans le pied » (c’est à dire déprécier leurs réserves de change, essentiellement libellées en dollars). Idem pour le Japon.
Quelles conclusions en tirer ? Comme je l’indiquais précédemment (mon éditorial du 1er octobre), l’euro, qu’on le veuille ou non ( en fait, on souhaiterait qu’il baisse) restera durablement fort par rapport au dollar et donc aussi par rapport au yuan, (et toutes les monnaies indexées sur ces 2 devises). Les exhortations de Jean - Claude Trichet ou de la Commission de Bruxelles ne changeront rien à l’affaire : ils recevront, en terme très polis (entre gens « bien ») , une fin de non-recevoir !
Et la France dans ce contexte ? Elle devra s’adapter. D’abord en favorisant le développement des industries peu susceptibles d’être touchées par un euro fort (beaucoup de services de proximité, le luxe, l’agro-alimentaire de haut de gamme, le tourisme culturel, etc). Ensuite en encourageant l’innovation dans les secteurs industriels où nous avons un savoir-faire reconnu (aéronautique, nucléaire, spatial). Dans cette perspective, les investissements prévus par le Grand Emprunt en matière de recherche sont les bienvenus. Troisièmement, un effort doit être consenti pour protéger « nos marques » qui constituent un véritable capital « immatériel », dont la valorisation tend à s’accroître, compte-tenu de l’élargissement de la base de consommateurs, au niveau mondial.
Enfin, un euro fort doit permettre aux entreprises françaises de s’implanter à l’étranger à bon marché, ce qui aboutira à des exportations supplémentaires (composants, matériels d’équipement, services annexes) vers les filiales étrangères et des rentrées de dividendes en France, source d’un rééquilibrage de notre « balance courante ». Compte-tenu des mutations que cela entraîne pour notre économie, il faudra redoubler d’efforts en matière d’éducation, domaine où nous avons accumulé beaucoup de retard (cf. le classement de Shangaï où nos universités font triste mine !) et qui sera décisif dans cette bataille économique.
Bernard Marois
Professeur Emérite HEC
Président du Club Finance