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Mur de la dette : Le FMI Trop Optimiste ?
Le FMI vient de publier son rapport "Fiscal monitor" analysant la soutenabilité
des politiques budgétaires et fiscales des principaux pays développés. Ces
rapports sont d'abord des sources de données incomparables pour remettre
certains chiffres en perspective.
Pour ce qui est de l'analyse que le FMI fait de la situation, nous verrons
qu'elle ménage le chaud et le froid. Il convient de garder à l'esprit qu'un
organisme de ce type doit conserver un langage très policé... Et que son actuel
directeur ne peut dénoncer trop ouvertement certains délires kyenesiens actuels
sans perdre toute chance de conquérir l'investiture d'un parti politique de
gauche en vue d'une élection présidentielle...
Mais revenons aux données
Le premier graphe qui interpelle le lecteur est celui-ci :
Il montre que, dans la plupart des pays développés, les efforts de réduction des
déficits sont encore nettement insuffisants pour contenir un accroissement fort
de la dette, supérieur à 2% du PIB. Seuls la Corée du Sud, Israel, la Suisse et
la Suède peuvent être qualifiées de bonnes élèves au plan budgétaire
aujourd'hui, mais aucun de ces pays n'a de poids suffisant pour infléchir les
tendances au niveau mondial.
Si la situation de la Grèce et du Portugal n'étonne plus, on constate que le
Japon, les USA et le Royaume Uni, malgré leur note AAA, n'affichent pas une
tendance plus encourageante. Les USA n'ont pas réussi à infléchir leur déficit
projeté de plus de 38 Milliards de dollars, pour un déficit estimé d'environ
1400 milliards. Autant dire une goutte d'eau dans un baril d'alcool...
Passons maintenant au tableau de la page 30 :
Besoins de financement et de refinancement des dettes passées des "grandes"
économies
Comme le dit le rapport, "la réduction graduelle des déficits courants sera
contrebalancée par l'augmentation du besoin de refinancement (rollover) des
dettes existantes arrivant à maturité et par le raccourcissement des maturités
depuis le début de la crise".
Cela apparait encore plus nettement sous forme graphique (notez la disparité des
échelles verticales !) : alors que, pour les pays "émergents", la crise
n'apparait que comme une regrettable péripétie qui ne remet pas en cause la
diminution généralisée du besoin de financement par la dette, dans les pays
occidentaux, les réductions de déficits observées n'ont pas encore permis de
réduire significativement les besoins de refinancement annuels.
Certes, selon le FMI, tout n'est pas totalement "noir". Ainsi, entre avril 2009
et décembre 2010, la maturité moyenne des dettes des économies dites avancées
est passée de 5 ans 1/2 à 6 ans 1/2, signe, selon le FMI, d'un retour de la
confiance sur les marchés obligataires. De même, le FMI espère une inflexion à
la baisse des besoins de financement à partir de 2012. Bref, "c'est tendu, mais
pas de panique".
Cette interprétation parait exagérément optimiste, car le problème de la dette
ne se pose pas en terme de "moyenne" mais en terme de "cygne noir" : autrement
dit, un seul domino peut faire en faire tomber beaucoup d'autres. La Grèce et le
Portugal sont quasiment morts, seules des raisons politiciennes ont à ce jour
empêché la prononciation du défaut de paiement. Mais plus personne n'en doute
aujourd'hui, et surtout pas les acheteurs de dette grecque à deux ans qui en ont
fait grimper le taux à 23%...
Et au vu des chiffres, rien ne dit que des pays considérés jusque-là comme sûrs
ne puissent connaître à leur tour ce type de désagrément.
Qui va acheter ces P... de bons ? (et à quel prix ?)
Si tous les détenteurs de dette des grands pays rachetaient la même dette à
échéance, il n'y aurait aucune raison de s'inquiéter outre mesure : certes, le
siphonage de l'épargne populaire pour absorber les nouvelles émissions est sans
aucun doute dommageable -effet d'éviction-, mais, sauf aux USA, il reste assez
d'épargne pour acheter des dettes nouvelles.
Mais voilà, il n'est pas impossible que certains gros acheteurs se désengagent.
Certains hedge privés, comme PIMCO, ont désormais fait savoir que leurs lignes
de portefeuilles sur la dette US étaient ramenées à... Zéro. En outre, des pays
comme l'Arabie Saoudite et quelques autres satrapies sous pression de leur
peuple vont devoir déstocker des réserves pour acheter le retour au calme de
leur population... Même les dictateurs se doivent de pratiquer la démagogie.
Mais c'est de la Chine et du Japon que viennent les signaux les plus
inquiétants.
Au Japon, la génération du baby-boom arrivera à la retraite à partir de 2012
(45+67). La caisse de retraite japonaise a fait savoir qu'elle devrait sans
doute sous peu, être vendeuse nette de dette japonaise, alors qu'elle était
jusqu'ici acheteuse nette. Mais il est probable qu'elle commencera d'abord à se
délester de ses avoirs étrangers avant de mettre en danger son portefeuille de
dettes locales.
Quant à la Chine, la sévérité de l'éclatement de la bulle immobilière (prix du
neuf à pékin : -26% sur 12 mois glissants en mars 2011) et de crédit qui s'y
prépare, sans oublier plus de 270 milliards de dollars de trou dans le
financement des trains à grande vitesse dont la fréquentation ne décolle pas,
obligeront le gouvernement à déstocker une partie de ses réserves pour tenter de
calmer les demandes sociales qui ne manqueront pas d'émerger, plus ou moins
calmement...
Et si les émergents réduisent leurs achats... Qui va acheter ?
Concurrence du refinancement bancaire
Le FMI voit un gros danger pour le refinancement des banques privées : celles-ci
font face à un mur de dettes à refinancer de 3,6 mille Mds de $ en 2011 et 2012.
Soit plus de 5% du PIB mondial...
Bref, la compétition pour le capital disponible va s'accroitre, et il y a fort à
parier pour que les banques les plus faibles et les états Itou voient les taux
demandés par les investisseurs pour leurs bons augmenter.
On peut donc prédire avec une crainte raisonnablement faible d'être ridicule
deux ans plus tard que les états vont voir le coût de leur refinancement
augmenter... Ce qui mettra une pression énorme sur les plus faibles, avec le
risque que l'un d'entre eux devienne le nouveau cygne noir que personne ne
voulait voir.
QE or not QE ?
Le tableau suivant récapitule le volume de rachat des nouvelles dettes émises
par les trésors publics par les grandes banques centrales, rachats plus connus
sous le nom de "Quantitative Easing".
On voit qu'au dernier trimestre 2010, la FED a pris en pension plus de la moitié
des nouvelles dettes émises par le trésor US. Autrement dit, la FED a juste eu
le temps de placer un matelas sur le mur de la dette américaine, que la voiture
folle du trésor aurait sans cela percuté avec fracas.
Je vois très mal comment il ne pourrait pas y avoir de QE n°3 alors que le
capitole n' a trouvé que 38 milliards d'économies budgétaires pour 2012 sur un
déficit de plus de 1400...
Or, les deux précédentes vagues de QE commencent à produire un effet
inflationniste visible. Un QE3 de grande ampleur ne fera qu'accélérer la
tendance... Ce qui se traduira par une nouvelle hausse des taux demandés par les
investisseurs obligataires aux états.
Or, avec une maturité moyenne de la dette de moins de 5 ans et demie, et 36% de
cette dette arrivant à échéance dans les deux ans, une hausse des taux
renforcera considérablement la charge annuelle d'intérêts du trésor US, et donc
le besoin d'émission de nouvelles dettes. Ceux qui espéraient que "l'inflation
effacera la dette" risquent d'en être pour leurs frais.
Conclusion
L'art de la prévision économique consistant à se tromper avec autant de
constance qu'un météorologue, ce qui suit est évidemment à prendre avec des
pincettes. Mais tout est réuni pour que d'une part, la "crise des dettes
souveraines" tant annoncée ait effectivement lieu, et ce dans les pays avancés.
Quand ? Ah, ça...
En effet, d'un côté, les pays avancés ne sont pas capables de réduire leurs
besoins de financement à un rythme suffisant, et de l'autre, les traditionnels
pays à balance des paiements fortement excédentaires risquent de devoir réduire
leurs achats de ces instruments financiers pour des raisons domestiques.
Ajoutons que les banques privées les plus faibles risquent de subir de plein
fouet une hausse de taux consécutive à l'accroissement de la concurrence entre
emprunteurs... Ce qui risque d'occasionner de nouveaux plans de sauvetage
publics, et donc d'aggraver les finances des états concernés.
Dans ces conditions, la "voie de la facilité" du Quantitative Easing parait être
la réaction la plus probable des élites dirigeantes et des banques centrales,
ouvrant la voie à une forte poussée inflationniste dans les économies
avancées... Mais malgré cela, des restructurations de dettes pures et simples
dans les pays les plus fragiles sont parfaitement inévitables.
Bref, loin de la "reprise lente mais sûre" que nos politiciens nous promettent,
l'économie mondiale risque fort de traverser une zone de "turbulences" très
fortes, et elle va y entrer dans des conditions nettement moins reluisantes
qu'en 2008, alors que les voies d'eau créées par les précédentes tempêtes ne
sont pas colmatées. Dans ces conditions, les prévisions de croissance plutôt
optimistes affichées tant pour l'Europe que pour les USA sont sans aucun doute
affectées d'un coefficient d'incertitude très élevé, façon polie de dire que je
n'y crois pas du tout.